Les généreux donateurs, fondations ou entreprises, aiment apporter leurs subsides à la culture mais ne se ruent pas sur le secteur du livre…
Que les mécènes aiment soutenir la culture n’a rien d’une nouveauté. Toutefois, comme le constate Marie-Charlotte Swaton, chargée d’enseignement à Aix-Marseille Université et spécialiste du mécénat, « en ces temps de crise, les entreprises choisissent plus volontiers les actions à caractère social. » De fait, le mécénat culturel a reculé ces dernières années, même s’il garde la troisième place en termes de budgets. Mais « la culture a un aspect fédérateur, attrayant, innovant, qui intéresse les entrepreneurs. Elle devrait retrouver davantage d’importance. » Après tout, les trois motivations principales qui animent les donateurs (contribuer à l’intérêt général, construire une relation avec un territoire, développer son image) peuvent parfaitement trouver leur satisfaction dans la culture.
Des malentendus à dépasser
Si les manifestations nationales drainent les dons de grands groupes soucieux de singulariser leur communication, les PME ou les très petites entreprises sont de plus en plus nombreuses, en région, à soutenir des projets dont les budgets restent à leur mesure. Une manière de participer au développement territorial, mais pas seulement : « Les enjeux sociaux et éducatifs sont également très présents au sein du mécénat culturel, notamment dans l’approche par publics pour démocratiser l’accès à la culture », constate l’Admical, association nationale qui fait la promotion du mécénat d’entreprise.
Entre les dirigeants de sociétés et les acteurs culturels, il reste cependant beaucoup à faire pour tisser des liens plus étroits : « On constate encore beaucoup de malentendus des deux côtés, commente Marie-Charlotte Swaton. Les porteurs de projets doivent comprendre que le mécénat est l’exercice d’un libre choix, c’est un don et non un dû. Le mécène n’est pas un chéquier de substitution et il vaut mieux le solliciter en amont en lui montrant qu’on ne vient pas le voir par hasard ou parce que les subventions publiques se tarissent. » Quant au donateur, il lui faut admettre que la culture n’est pas forcément élitiste…
Une loi et des actions
Le mécénat est aujourd’hui reconnu par le monde de la culture comme un recours nécessaire pour pallier l’insuffisance de subventions publiques. L’État lui-même en a pris conscience depuis de nombreuses années. La loi du 1er août 2003 (dite loi Aillagon) relative au mécénat, aux associations et aux fondations, a institué des conditions très favorables à l’exercice du don financier. Depuis 2005, le ministère de la Culture et de la Communication organise chaque année les rencontres professionnelles des Jeudis du mécénat. Celles de mars 2015 ont fait le bilan de Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture, opération qui a eu des retombées très positives pour la région Paca et lancé une dynamique en faveur du mécénat sur tout son territoire. En décembre 2014, le ministère a promulgué une Charte du mécénat culturel pour fixer un cadre aux bonnes pratiques.
La prime à des festivals à forte identité
En 2016, selon l’enquête Admical-CSA sur le mécénat d’entreprise en France, les arts vivants et la musique se taillent la part du lion en drainant 63 % des budgets du mécénat culturel. Le monde du livre n’est pas représenté en 2016 et en 2014, il n’en représentait qu’une infime part autour de 1 %. Il peut s’agir d’aides à la création (bourses, prix, résidences), à l’édition (livres d’art, catalogues d’expositions…), de soutien à la vie littéraire (salons, bibliothèques) ou encore d’aides à l’accès au livre et à la lecture au profit d’associations. Ce faible engagement dans le champ littéraire, Marie-Charlotte Swaton le voit là encore comme le symptôme de « beaucoup de méconnaissance de part et d’autre », entre les mécènes et les porteurs de projets. Agissant souvent par coup de cœur, les premiers se montreront d’autant plus motivés que les seconds leur présenteront une idée qui sort des sentiers battus, qu’ils sauront jouer la différence et susciter l’intérêt.
C’est sans doute parce que ce sont des événements à forte identité que Terres de Paroles et Le Goût des autres ont séduit quelques mécènes. Par exemple, en 2015, le Crédit Agricole, le groupe Iropa (imprimerie), la fondation du Crédit coopératif soutiennent la manifestation organisée par Arts 276. S’y ajoute la fondation suisse Jan Michalski pour l’écriture et la littérature, qui a également aidé Le Goût des autres. Ses dirigeants semblent avoir été intéressés par le travail de ce festival sur la diversité culturelle. Des partenaires locaux (chaînes hôtelières, Renault…) apportent aussi leur obole : « Dès la création du Goût des autres, explique sa responsable, nous avons mené une réflexion décomplexée sur le recours aux financements privés. Il ne s’agit pas de vendre à tout prix l’événement mais de trouver des mécènes en phase avec notre programmation. » Bien que ces aides privées restent modestes au regard des financements publics, pouvoir associer quelques marques connues à la manifestation participe aussi de son rayonnement.
Viser le mécénat croisé
Le livre et l’édition sont amenés à faire encore plus les yeux doux aux mécènes, c’est inévitable. Encore faut-il que ses acteurs dépassent quelques méconnaissances fréquentes sur le système. Ainsi, ils se focalisent trop souvent sur le mécénat financier en oubliant celui en nature (exemple : l’imprimeur qui offre la réalisation d’un document). Le mécénat de compétence (mise à disposition d’une personne sur un projet), plus facile à mettre en œuvre pour des petites entreprises à la trésorerie limitée, constitue aussi une piste à suivre. Par l’intermédiaire de sa fondation Solidarité, la SNCF, par ailleurs partenaire du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, « prête » ainsi des salariés à des associations, notamment celles qui luttent contre l’illettrisme.
Dans le livre comme ailleurs, il apparaît actuellement que le soutien privé a tendance à privilégier les actions transversales ou pluridisciplinaires : « Ce qui plaît beaucoup, insiste Marie-Charlotte Swaton, c’est le mécénat croisé, à la fois culturel et social, qui permet de toucher un plus large public et de renforcer l’esprit d’intérêt général. Financer un ouvrage sur papier recyclé, c’est aussi œuvrer pour l’environnement ; aider un livre audio ou la création d’une application pour tablettes, comme le fait la fondation Orange, c’est soutenir l’innovation technologique en même temps que l’accessibilité sociale au livre. » Avis aux professionnels : faites preuve d’imagination et jouez la carte des projets polyvalents !
Luc Duthil, journaliste indépendant, pour l’ARL Haute-Normandie*
* L’ARL Haute-Normandie et le CRL Basse-Normandie sont devenus Normandie Livre & Lecture depuis le 1er janvier 2018.