Le mécénat est un soutien financier, mais il permet aussi de construire des relations pérennes avec les acteurs économiques au profit du développement du territoire.
Nombreux sont les porteurs de projets livre et lecture qui témoignent de la difficulté de mettre en place une démarche de mécénat. Les grandes entreprises mécènes paraissent inaccessibles, tant par la difficulté de trouver le bon interlocuteur que par la distance prétendue vaste entre le monde économique et le monde culturel. Les premières actions engagées sont souvent source de frustrations et de désillusions. Pourtant, de plus en plus d’entreprises se lancent dans des actions de mécénat et développent des relations étroites avec les structures culturelles des territoires.
Souvent trop rapidement considéré comme un unique soutien matériel ou financier, le mécénat est avant tout une rencontre avec de nouveaux partenaires, la construction ou la consolidation de nouvelles relations avec des acteurs du territoire et une source de nouvelles opportunités de développement, de nouveaux réseaux.
Les derniers résultats du baromètre du mécénat publié par ADMICAL en 2016* confirment l’importance des PME dans le nombre d’entreprises mécènes. En France, le nombre d’entreprises mécènes passent de 12% en 2014 à 14% en 2016, et elles soutiennent à 73% des projets locaux. Parmi ces entreprises mécènes, on compte une large majorité de TPE (72%) et de PME (29%). Les entreprises souhaitent de plus en plus construire une action territoriale, et s’engager sur des enjeux liés au développement social et économique des territoires, conditionnant leur propre développement. Les PME sont donc les plus nombreuses à donner et représentent un soutien qui, même s’il est modeste (entre 1 000 € et 5 000€ par an et par entreprise pour un à deux projets), a parfois plus d’impact que de très importants dons sur des projets emblématiques. Ce mécénat « de proximité́ » vient nourrir des motivations communes à la progression des actions RSE conduites par des entreprises locales, incitant ces dernières à nourrir des actions de développement durable, au sens large du terme.
Le baromètre ADMICAL souligne une autre réalité : la participation très réduite des entreprises dans les projets livre et lecture, alors qu’ils concernent des aspects sociétaux très forts comme la diffusion de la culture, la lutte contre l’illettrisme, la bibliodiversité, la mise en valeur des métiers de la chaîne du livre…
Sur cette base déclarative des entreprises, où les projets livre et lecture sont confondus, il est impossible de distinguer les projets d’édition, les manifestations littéraires ou les projets de développement de la lecture. Certaines nuances sont pourtant à envisager selon la typologie des projets rencontrés.
Comment expliquer cette faible participation du mécénat d’entreprise auprès de projets livre et lecture ? Et comment la notion de territoire peut-elle être une nouvelle source de partenariats pour ces projets ?
Une première piste de réponse à ce déficit de projets livre soutenus dans le cadre du mécénat réside dans le système juridique du mécénat lui-même. Le mécénat est un don, d’une entreprise ou d’un particulier, à une activité d’intérêt général. Cet engagement peut être réalisé en argent, en nature (don de produits) ou en compétences, et concerner des domaines très variés : social, culture, éducation, santé, sport, environnement, recherche…
La notion d’intérêt général est ici la pierre angulaire du système. Les structures concernées doivent alors déclarer :
- Exercer leur activité en France.
- Exercer leur activité dans au moins un des domaines d’intérêt général : les œuvres ou organismes ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises.
- Avoir un caractère non lucratif.
- Une gestion désintéressée.
- Ne pas fonctionner au profit d’un cercle restreint de personnes.
Ces critères sont cumulatifs. Une maison d’édition, une librairie, ont un statut juridique qui relève souvent de l’entreprise privée, et ne sont pas, de ce fait, éligibles au mécénat. Et dans le cas où une maison d’édition ou une librairie, constituée en association, se lancerait dans une démarche de mécénat, il faudrait qu’elle prouve son caractère d’intérêt général, donc sa non lucrativité, sa gestion désintéressée… avec une demande de rescrit faite à l’administration fiscale (cette procédure permet de vérifier la possibilité pour les associations de délivrer des reçus de dons, sans lesquels les entreprises ou les particuliers mécènes ne peuvent effectuer leurs réductions fiscales.).
Pourtant, la construction de partenariat territorial est tout de même à la portée des entreprises culturelles. Et elles sont finalement assez nombreuses à tisser des relations de partenariats avec les entreprises de leurs territoires. Les motivations principales des entreprises n’étant pas fiscales, (données confirmées par le Baromètre ADMICAL 2016 et par une étude sur la déclaration fiscale des entreprises mécènes de Recherche et Solidarités publiée en 2018), les éditeurs ou les libraires ne devraient pas se sentir freinés dans leurs recherches d’entreprises partenaires. Que l’on recherche un mécène ou un partenaire, la méthodologie de projet est finalement assez similaire, seules les conséquences fiscales et les seuils de contreparties (25% du don dans le cadre du mécénat) sont différents.
Une maison d’édition pourra ainsi très bien imaginer un système de préachats ou de préventes avec une entreprise locale, lui assurant ainsi un revenu couvrant une partie des frais de fabrication de l’ouvrage. De son côté, l’entreprise partenaire, au-delà de valoriser son implication territoriale auprès d’un projet culturel, pourra bénéficier d’ouvrages à remettre en guise de cadeau d’entreprise à ses parties prenantes. Les motivations des entreprises à participer à un projet d’édition peuvent concerner le thème de l’ouvrage, proche de son domaine de compétences, ou posséder un caractère sociétal fort.
Il en va différemment pour les manifestations littéraires ou les opérations de développement de la lecture, souvent soutenues par des associations ou abritées par une collectivité territoriale, pour qui l’accès au mécénat d’entreprise est quelque part facilité. Il est important ici de rappeler que les collectivités, les EPCC, les EPCI… sont éligibles au mécénat d’entreprises, de la même manière, à peu de choses près, qu’une association loi 1901 œuvrant pour l’intérêt général et pour un cercle non restreint de personnes. Les points de différences et de vigilance qui émergent alors sont le risque de concurrence croisée entre les différents acteurs publics du territoire, la possible requalification en marché des opérations de mécénat, la gestion de fait dans le cadre d’une régie indirecte des opérations de mécénat et globalement, la fluidité des informations dans les différents services et auprès des différents opérateurs culturels. La captation des dons des entreprises sur les territoires se fait souvent au profit des projets de spectacle vivant ou de conservation du patrimoine. Ces nouvelles venues dans la levée de fonds que sont les collectivités promettent peut-être une répartition plus équitable sur les territoires des dons levés au profit des projets livre et lecture.
Le secteur culturel doit se montrer créatif dans le montage de partenariats, et le mécénat d’entreprise, même s’il n’est parfois pas la réponse la plus évidente selon la nature juridique des projets, ouvre les structures liées au livre et à la lecture à la construction de nouvelles relations avec les acteurs de leurs territoires. Le mécénat impose aussi un certain cadre méthodologique, et permet souvent d’amorcer une remise en question assez profonde du modèle économique de ces structures.
Mécénat territorial, partenariats locaux… les acteurs culturels ont donc tout intérêt à partir à la rencontre des PME de leurs territoires, qui cherchent à fédérer leurs collaborateurs autour de projets sociétaux et territoriaux, ce que les projets livre et lecture proposent, et d’associer les valeurs portées par l’association ou le projet culturel aux valeurs de son entreprise. Il est ainsi primordial de penser local dans sa recherche de partenariats. La tâche est rude, le travail parfois décourageant, la pugnacité de mise, mais les partenariats décrochés sont alors très vertueux pour les territoires, car ce qui est en jeu, au-delà de l’aspect financier, c’est la rencontre entre plusieurs acteurs locaux, le développement durable des territoires, l’échange de valeurs et l’enrichissement mutuel.
*Depuis la rédaction de cet article, de nouveaux baromètres ont parus. Le dernier en date est celui de 2022.
Julie Mayer, Agence Ryzome
© Julie Mayer/Ryzome pour la FILL, septembre 2018.
Julie Mayer est diplômée de philosophie politique (Paris 1 La Sorbonne) et de gestion/communication des organisations de l’Institut d’Études Européennes (Paris 8). Tout au long de son parcours professionnel, elle se spécialise dans le mécénat et le développement économique des activités culturelles et associatives, ainsi que dans le développement des politique RSE auprès des PME. Julie Mayer est également chargée de cours à l’Université Picardie Jules Verne, intervient au CNFPT sur les questions de mécénat territorial, et depuis 2018, est déléguée régionale Hauts-de-France pour ADMICAL. Après plus de dix ans d’expériences dans le développement de projets culturels en France et aux États-Unis, elle crée Ryzome en 2015. Depuis 2021, elle codirige Mécénat & co avec William Renaut.