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Spécialisés dans l’édition d’ouvrages jeunesse accessibles, Rudy Martel, directeur de Benjamins media, éditeur de livres sonores et Sophie Blain-Martel, directrice des éditions Les Doigts qui rêvent (LDQR), qui réalisent des livres tactiles, font part de leur expérience quant à l’accueil et la communication accessibles. Entretien croisé.

Vous êtes connus pour votre catalogue accessible aux personnes en situation de handicap : pouvez-vous rapidement en décrire les spécificités ? 

Rudy Martel : Benjamins media réalise et édite depuis plus de 30 ans des livres sonores pour enfants. Une particularité et une spécificité. La spécificité : la mise en forme sonore des histoires. On ne parle pas de bruitages ici, mais de paysages sonores. Le son est construit, ciselé, pour permettre aux enfants de mieux développer leur imaginaire et aux lecteurs déficients visuels d’avoir les images du livre à leurs oreilles. La particularité : chaque titre de notre catalogue – et c’est une démarche unique en Europe – est disponible dans deux versions : livre CD MP3 et livre CD MP3 + livre en braille + livre en gros caractères. Le braille se trouve page de gauche et le braille intégral page de droite. Le livre adapté à la DV ne coûte que 2 euros en plus du livre en noir.

Sophie Blain-Martel : Les albums jeunesse publiés par Les Doigts Qui Rêvent (LDQR) sont des albums tactiles illustrés pour tous les enfants et en particulier adaptés aux représentations des enfants aveugles et malvoyants : intervention précoce, éducation tactile, scolaire, littérature de jeunesse, art.

Pour cela Les Doigts Qui Rêvent travaille sur des illustrations tactiles variées par leurs formes, leurs textures, leurs explorations, leurs manipulations. Toutes ces propositions naissent des ateliers avec les enfants, des retours d’expériences de terrains (professionnels du handicap visuel, parents) mais également de divers travaux de recherche sur la conception d’une image tactile qui est loin d’être une image visuelle mise en relief.

En effet, pour être comprise par un enfant qui n’a jamais vu, cette image ne doit pas être juste un « coloriage tactile » d’une illustration conçue pour un enfant voyant. Il y a des codifications particulières à respecter.

Dans le rapport de va et vient entre le texte et l’illustration, binôme très précieux à la littérature de jeunesse, la dimension tactile des illustrations des albums LDQR est particulièrement précieuse pour tous les enfants et confère à ces illustrations une portée universelle. Le sens du toucher est le premier sens développé. Ensuite, en complément de la vue et de l’audition, le sens du toucher constituera la base des apprentissages. Les enfants s’imprégneront des concepts, par l’exploration sensorielle. Ils pourront ensuite cheminer vers l’abstraction.

Et notamment la manipulation des illustrations tactiles par des enfants ayants un handicap mental pourra favoriser la compréhension du texte.

De plus, par le soin apporté à la lisibilité du texte (police de caractère, corps agrandis), ses albums sont accessibles aussi à des enfants ayant des troubles cognitifs, des troubles moteurs.

Dans le choix des titres à publier, LDQR alterne créations et adaptations.

En choisissant d’adapter des auteurs qui sont très présents dans les librairies, les bibliothèques et dans les écoles, quasi un « classique » des maternelles, LDQR permet à des enfants déficients visuels d’accéder à une culture commune avec les voyants. Exemples : Un livre d’Hervé Tullet, C’est moi le plus fort de Mario Ramos. Toutefois, il existe des créateurs d’illustrations tactiles, notamment repérés au travers du concours international d’illustrations tactiles Typho&Tactus animés par LDQR. Ces créateurs, qui mènent pour certain un travail remarquable, sont accompagnés par LDQR dans l’aboutissement de leur savoir-faire et représentation de l’univers des déficients visuels. Exemple Planète, Sur le chemin de la maison, Mini tactile B

Quels conseils donneriez-vous à des organisateurs de manifestations littéraires soucieux d’accueillir les publics en situation de handicap ?

R.M : Je ne suis pas un spécialiste de toutes les formes de handicap, mais je dirais :

S.B-M : Les livres : proposer des livres accessibles au format papier : gros caractères, livres très illustrés, livres de lectures faciles.

Les auteurs : faire venir des auteurs en situation de handicap ou ayant des auteurs ayant écrit sur ce sujet.

Des animations : prévoir des animations accessibles, par exemple des séances de lecture spécifiques pour des publics ayant des besoins différents : moins de bruits, moins de lumière pour certains publics avec handicap mental ; des lecture bilingues français-langue des signes…

Du matériel d’assistance à la lecture : se rapprocher des centres basse vision pour leur proposer de les aider sur ce point ou les bibliothèques spécialisées vers ce public ;  présenter des innovations techniques rendant les livres accessibles : fichier EPUB3 et les outils de lecture numérique utilisés par les publics à besoins spécifiques, lecteur Daisy (tous ce que les bibliothèques mettent en place en direction de publics vieillissants).

Un travail sur son territoire : mener des partenariats avec des associations représentatives de personnes en situation de handicap de leur territoire (par exemple, valoriser l’opération « une rentrée littéraire » accessible via le dispositif exception handicap au droit d’auteur).

La communication : un support de communication également en français facile à lire et à comprendre (FALC) ; un site internet accessible (RGAA) ; une signalétique adaptée.

L’accès : accessibilité physique (rampe d’accès, table avec présentoirs pas trop hauts, pas trop profonds, ligne podotactile pour les personnes aveugles se déplaçant avec une canne).

Plus concrètement, pouvez-vous préconiser des outils/mobiliers spécifiques ?

R.M : des tables pas trop hautes pour que les enfants aient eux aussi accès aux livres jeunesse. Un point écoute sympa comme : espace avec transats, parasols, casques individuels, les pieds dans le sable. Plus simplement, et incorporé dans le stand : un banc avec coussin et casque pour écouter. Et du linéaire pour présenter les livres en braille car ces livres-là doivent être ouverts pour être présentés. Ils prennent plus de place.

SB-M : En effet, les livres tactiles, les livres en braille prennent plus de place qu’un livre illustré ou un livre en noir. Il faut pouvoir les présenter à plat et ouvert idéalement. Les besoins se rapprochent de ceux pour valoriser des livres d’artistes.

Propos recueillis par Cécile Jodlowski-Perra, directrice déléguée d’Occitanie Livre & Lecture et Marion Clamens, directrice de l’Agence Livre & Lecture Bourgogne-Franche-Comté.

> www.benjamins-media.org

> Éditions Les Doigts Qui Rêvent : regarder le film de présentation réalisé par l’Agence Livre & Lecture Bourgogne-Franche-Comté.