Figure incontournable de la librairie en France, Michel Ollendorff s’est éteint le 29 mars 2025. Olivier Pennaneac’h, chargé de mission Économie du livre à l’Agence régionale du livre Provence-Alpes-Côte d’Azur, lui rend ici hommage, au nom de la Fill et de ses membres.
Toute sa vie, Michel Ollendorff a évolué dans la chaîne du livre, travaillant tour à tour comme éditeur, diffuseur, distributeur, libraire, avant de devenir un très grand et ô combien précieux spécialiste et théoricien de la librairie. Pendant 45 ans, à travers l’Asfodel (aujourd’hui École de la librairie) et sa structure L’Esperluète, inlassablement, il aura formé et accompagné de très nombreux libraires du territoire français et au-delà, au Canada ou bien encore dans les pays du Maghreb ou du Machrek…
Parti dans sa 90e année
Le plus grand secret de Michel était son âge, et pas question de lui parler de retraite ! Michel Ollendorff regardait toujours vers l’avant et dégageait ce statut d’immortel qu’on accorde aux vieux chênes. Quels que soient les aléas de la vie qui ont pu le toucher, il se relevait dès le lendemain et repartait à l’ouvrage : « Une petite opération de rien du tout, j’arrive ! Et n’oublie pas de me proposer des dates pour la prochaine formation ! » Une semaine avant de tirer sa révérence, il donnait encore son cours fétiche à l’École de la librairie – comptabilité et gestion des stocks –, « le nerf de la guerre » selon lui, et la matière qu’il aura le plus théorisée.
Des nombreux hommages qui lui sont rendus, tous rappellent le grand homme qu’il était, sa profonde bienveillance, son professionnalisme, sa place à part dans notre circuit, mais personne n’a encore rappelé l’héritage qu’il laisse, et il est immense ! De Médialog à Ellipses en passant par Librisoft, Michel Ollendorff a aidé toutes les SSII (sociétés de services et d’ingénierie en informatique) à développer des outils de gestion au plus proche des besoins et requêtes des libraires : c’est grâce à leurs retours et aux liens qu’il a tissés avec nombre d’entre elles que ces outils sont devenus aussi performants. L’occasion ici de rappeler ses chevaux de bataille, menés au service de la librairie indépendante.
La Librairie en majesté
Sa publication phare, Le Métier de libraire*, a été et restera encore longtemps et pour beaucoup un livre de chevet. En témoigne ce message, reçu par l’ArL Provence-Alpes-Côte d’Azur à l’annonce de son décès : « J’ai tout appris avec lui et sa bible, Le Métier de Libraire, et surtout… sa générosité. C’est lui qui m’a insufflé l’envie de faire de l’objet “librairie” une véritable réflexion, autant sur sa gestion que sur sa construction intellectuelle. Le fond et la forme doivent être intimement liés. »
Dans cette « bible », il théorise une approche comptable propre à la librairie, s’affranchissant des approches fonctionnelles d’usage pour inventer une méthode d’analyse patrimoniale spécifique. Les flux, rien que les flux. Le stock, rien que le stock. Exit les charges externes dans le calcul des délais fournisseurs, foin des calculs poussiéreux du Besoin de fonds de roulement, place au Besoin par le stock qui intègre vitesse de rotation des stocks et vitesse de paiement !… Tel était son credo. Les flux deviennent des jours d’achats et les jours d’achats le dénominateur qui permet de mesurer les besoins financiers de la profession. Une petite révolution.
Ce stock, il le dissèque et le catégorise en stocks A, B et C, depuis les nouveautés jusqu’aux livres de fonds qu’il rattache à la trésorerie des libraires, les guidant un peu plus dans leur travail. Mais cette notion de stocks B et C finit par le contrarier. Certes ceux-ci tournent moins vite, mais ils ne sont pas pour autant des stocks morts, ils sont même l’âme des librairies. Récemment, il me parlait de « stocks permanents » : « Je crois que c’est la meilleure appellation possible. Ce sont les stocks qui tournent lentement, mais c’est l’image de nos librairies indépendantes. S’ils sont vendus, ils sont très souvent recommandés. C’est donc un stock permanent. À surveiller comme le lait sur le feu bien évidemment. » Face à des professionnels plus à l’aise avec les lettres qu’avec les chiffres, sa venue en librairie inquiétait parfois… Combien de rendez-vous annulés et de gérants stressés à l’idée de le recevoir ! « Je l’ai eu comme prof, quand il va voir ma rotation il va m’engueuler… » Le nommer, c’était évoquer la rigueur comptable qu’il appelait de ses vœux : « Quand on a peu d’argent, il faut être consciencieux et arrêter de s’étouffer. » Un guide, un grand frère, un allié, il était un peu tout ça pour de très nombreux libraires.
Le contrôle des marges
Et c’était tous les jours sur le terrain, de Saint-Martin-Vésubie à Penmarc’h, qu’il éprouvait ses stratégies. Un autre de ses grands combats, la marge commerciale : « Dans un système de prix unique, le plus important c’est la marge. » Que de batailles menées avec les experts-comptables, les éditeurs, les libraires ! Farouche défenseur des « inventaires permanents », il invitait tous les libraires à vérifier régulièrement la concordance entre leurs stocks physiques et leurs stocks machine. Pour lui, le poste de réceptionnaire était l’un des plus importants : « Si ton stock est mal intégré, mal ventilé, tu deviens aveugle et l’informatique ne sert plus à rien ». Le dernier guide sur lequel il travaillait s’attache à clarifier ces points essentiels : marge brute, marge nette, impact de la remise fidélité, des marchés publics, de la démarque inconnue, importance des retours et des fournisseurs en attente d’avoir, poids de la variation des stocks… autant d’éléments que doivent anticiper et contrôler de très près les libraires.
Au cœur de ce dernier guide, il souhaitait aussi faire apparaître les principaux points de vigilance que doit avoir un libraire vis-à-vis de son comptable. Ce guide, avec l’accord de ses ayants droit, nous le publierons d’ici au mois de septembre pour que tout un chacun puisse profiter des derniers conseils de Michel.
Michel
Cet hommage ne saurait faire l’impasse sur l’homme qu’il était, toujours avide d’apprendre, de découvrir, d’être surpris, lecteur insatiable de polars et de livres d’histoire, amateur de musique classique, de vitesse et esthète des terroirs. Pour chaque tournée, il y avait toujours une petite halte chez un caviste, un producteur de lavande, un fromager. Plus la librairie était isolée, plus la possibilité d’une belle découverte était grande. Fidèle à l’esprit de Malraux, il œuvrait pour trouver, dans chaque territoire, la ville ou le chef-lieu le plus pertinent où installer un accès aux livres.
En ce sens, Michel était l’un des plus grands alliés des structures régionales pour le livre. Son analyse, son accompagnement, sa disponibilité et les nombreuses études qu’il a pu mener ont servi et serviront encore à nourrir la compréhension de nos territoires.
Dire que près de 90 % des libraires aujourd’hui en activité ont bénéficié d’un contact, une formation, un lien avec Michel est certainement proche de la vérité et témoigne de son influence dans la profession.
Merci, Michel ! Merci pour tout !
Olivier Pennaneac’h, avec le regard d’Adeline Barré (Occitanie Livre & Lecture), Sophie Fauché (Normandie Livre & Lecture), Jean-Marc Robert (ALCA), Yanik Vacher (Occitanie Livre & Lecture)
*Le Métier de libraire, éditions du Cercle de la Librairie