La visibilité des femmes dans la société passe aussi par la place qui leur est accordée dans l’espace public. En France, seuls 6 % des noms de rues porteraient le nom d’une femme. Cette problématique n’épargne pas les établissements de lecture publique. Dans son mémoire sur la dénomination des bibliothèques territoriales, la conservatrice des bibliothèques Albane Lejeune constatait que 81 % des établissements de son échantillon portaient le nom d’un homme.
Le réseau de lecture publique de la Ville de Nantes semble ainsi faire figure d’exception. Trois médiathèques sur quatre portent les noms de personnalités féminines locales : Luce Courville, bibliothécaire, Floresca Guépin, enseignante féministe, et Lisa Bresner, écrivaine. Entretien avec Agnès Marcetteau, directrice de la Bibliothèque municipale de Nantes.
Comment les noms de Luce Courville, Floresca Guépin et Lisa Bresner ont-ils été attribués à trois médiathèques de votre collectivité ?
Agnès Marcetteau : L’histoire des dénominations des bibliothèques à Nantes, c’est précisément toute une histoire… L’attribution de noms s’est progressivement imposée, pour des raisons pratiques, avec la multiplication des établissements culturels sur le territoire. Pour la médiathèque nord, il y a eu un consensus entre les politiques et les professionnels sur le nom de Luce Courville : elle avait été directrice du réseau des bibliothèques municipales et venait de décéder. La médiathèque est a été nommée Floresca-Guépin par rebonds. Nous sommes passés par plusieurs noms : Julien Gracq, puis Ange Guépin, parce qu’il avait une place historique, politique et sociale importante à Nantes… Finalement, ça ne s’est pas fait parce que son nom devait déjà être attribué à un autre lieu. C’est ainsi que nous sommes arrivés à celui de sa femme, Floresca Guépin. Elle nous a semblé encore plus intéressante parce que finalement, elle était encore plus oubliée que lui ! Enfin, le nom de la troisième médiathèque, celui de l’écrivaine Lisa Bresner, a été décidé à l’issue d’une consultation citoyenne.
Ce que je peux dire quand même, c’est qu’à Nantes nous avons toujours été attachés à ce que les noms des médiathèques soient ancrés dans la réalité locale.
Est-ce que les noms de personnalités féminines viennent plus facilement quand on pense local ?
A.M. : Je pense qu’une des raisons pour lesquelles il y a tant de médiathèques portant les noms d’hommes, c’est qu’on attribue des noms à forte notoriété à l’échelle nationale et internationale. Les hommes étant très écrasants dans ce paysage-là… On peut penser aux médiathèques qui s’appellent François-Mitterrand ou à la flopée de médiathèques Louis-Aragon, finalement on aurait peut-être pu les appeler Elsa-Triolet ! En revanche, il y a deux ans, nous avons réalisé ce que nous appelons un parcours littéraire, avec des panneaux présentant des personnalités locales ayant compté dans la vie littéraire dans chacun de nos établissements. C’est une action pour laquelle nous avons tenté d’appliquer la parité, ce qui nous a amenés à être très imaginatifs.
Parce qu’il était plus difficile de trouver des noms de femmes ?
A.M : Oui, tout à fait. Nous avons intégré par exemple Anne de Bretagne, pour son rôle de mécène, et Sophie Trébuchet, née à Nantes et mère de Victor Hugo. Nous aurions pu intégrer Claire Brétécher, également née à Nantes, d’ailleurs… Je pense que si nous n’avions pas fait cette recherche-là, pour aller au-delà des évidences, nous serions passés à côté de personnalités plus effacées. La parité était une réelle volonté et s’inscrivait dans une démarche assumée de la Ville, à laquelle nous nous sommes associés. Par exemple, nous organisons les Journées du patrimoine mais aussi les Journées du matrimoine.
Si l’attribution de ces trois noms féminins aux médiathèques s’est faite plutôt au fil de l’eau, a posteriori, pensez-vous néanmoins qu’il s’agisse d’un enjeu important ?
A.M. : Oui, bien sûr, le fait d’avoir attribué des noms de femmes l’a justement mis en évidence. Donner un nom qui n’est pas connu d’avance a aussi un effet de surprise, permet de mettre en avant des personnalités qui ont aussi pu jouer un rôle important. Si elles n’avaient pas été là, nous n’aurions peut-être pas cette vie culturelle foisonnante aujourd’hui. Floresca Guépin, par exemple, était une femme très investie dans la diffusion de la culture, dans la promotion de la condition féminine ; Lisa, elle, a vraiment un parcours d’artiste particulier ; Luce, quant à elle, a contribué à rendre le réseau de lecture publique très dynamique… Nous avons en tout cas à Nantes encore des femmes importantes auxquelles nous pourrions rendre hommage. Claude Cahun par exemple, écrivaine, plasticienne, photographe et compagne de l’artiste Suzanne Malherbe.