Connues pour leurs principes antisexistes, les jeunes éditions Biscoto, en Nouvelle-Aquitaine, ont adopté un féminisme qui se niche davantage dans les détails, des dessins ou de la narration, que dans le choix de sujets explicites. Rencontre avec les éditrices et deux autrices de la maison.
Les éditions Biscoto ne s’en cachent pas : elles accordent une attention toute particulière à la question de l’égalité entre les femmes et les hommes. « Oui, nous avons un engagement personnel sur ce sujet-là, mais ce que l’on défend principalement, c’est l’égalité de tous les humains », indique Julie Staebler, la cofondatrice de cette petite maison d’édition associative implantée à Angoulême, en Charente. À l’origine de celle-ci, le mensuel du même nom, né en 2013, à destination des 8-13 ans. « Nous présentions Biscoto comme un journal aux valeurs antisexistes et antiracistes affirmées, ce qui à l’époque était rare dans la presse jeunesse », note Julie Staebler. Pour leur premier livre, en 2017, Julie Staebler et sa sœur Catherine choisissent Le Meilleurissime Repaire de la Terre d’Oriane Lassus, une bande dessinée déjà publiée en feuilleton dans le journal, augmentée de 20 planches. « Nous travaillons avec des autrices et des auteurs dont on connaît le travail et dont on sait qu’ils ou elles accordent une grande importance à cette question des représentations et de la manière dont elles peuvent véhiculer stéréotypes et discriminations. Oriane a une manière très intéressante d’aborder ces enjeux : tout se joue dans les détails, avec, par exemple, un couple dont la femme est plus grande que son mari, un professeur qui porte une jupe. Ce ne sont que des petits signes, qui ne sont pas énoncés, qui n’influent pas sur la narration, mais qui ont, je le pense sincèrement, un pouvoir », développe Julie Staebler.
Pour Oriane Lassus, c’est en effet, dans de légers indices que se loge son combat pour une plus juste parité dans les représentations : « La question du genre et des clichés qu’on y accole est une préoccupation que j’interroge depuis longtemps. Mais je ne souhaite pas l’aborder de manière militante. Je préfère chercher à déconstruire, d’ailleurs souvent de manière instinctive : je refuse par exemple de dessiner des grands cils à mes personnages féminins, comme cela se fait très souvent dans la littérature jeunesse. C’est comme s’il était acté que la longueur des cils était une marque de féminité, c’est n’importe quoi. » C’est donc toujours discrètement qu’Oriane Lassus cherche à libérer ses dessins et ses récits d’une quelconque emprise formelle. Dans son album Le Meilleurissime repaire de la Terre, la mère de l’héroïne n’est jamais dessinée, et le lecteur apprend à la fin qu’elle travaille à l’étranger. « Que sa mère soit là ou pas, ça n’a aucune influence sur l’histoire que je raconte. Mais ça laisse entendre quelque chose, non ? », s’amuse la jeune autrice. Pour elle, ne pas tomber dans les automatismes est un effort naturel » qui lui demande parfois de rester très attentive : « L’imagerie générale, dans les médias, la publicité, véhicule de nombreux stéréotypes dont nous devons nous échapper. »
« C’est évident, nous sommes pétris de stéréotypes », approuve Julie Staebler. L’éditrice se souvient d’ailleurs qu’il lui est arrivé de devoir discuter avec des auteurs afin de faire évoluer leurs dessins : « C’est très rare, mais c’est vrai, j’ai dû demander à des auteurs, des hommes, il faut le dire, pourquoi ils avaient choisi de représenter de telle manière leurs personnages, féminins pour la plupart. En fait, ils reproduisaient des discriminations, nichées dans des petites particularités, par exemple dans les rôles parentaux. Je sentais bien que c’était inconscient, et en discutant, j’arrivais à faire évoluer leur regard ». Cette force des stéréotypes, Charlotte Pollet, l’autrice de Pipistrelli (paru en 2019 chez Biscoto) l’a subie elle aussi. « En 2017, quand j’ai commencé à travailler sur mon récit, c’était évident pour moi que le personnage principal serait un petit garçon. C’était une BD d’aventure et ça s’imposait, naturellement, sans que je ne questionne rien. Puis en écrivant, je me suis soudain rendu compte que ce n’était pas obligé en fait que ce soit un garçon », se souvient la jeune femme. Depuis, le personnage principal de Pipistrelli est donc devenu une petite fille potelée du nom d’Olive. Pour l’accompagner dans son aventure, Charlotte Pollet a imaginé Minuit et Caouète, deux copines qui font « deux têtes de plus que tout le monde », et Bescherelle, un copain malingre qui adore jouer au Scrabble. Et un autre personnage, appelé Mouche, dont il difficile de savoir si c’est une fille ou un garçon. « Au fond, il faudrait pouvoir se passer de la question du genre et faire que les personnages ne soient pas catalogués comme des éléments féminins ou masculins. »
Propos recueillis par Aline Chambras