Libraires ou éditrices, des femmes dans l’Histoire

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Des femmes dans la librairie

Aujourd’hui, le métier de libraire est attractif, et nombreuses sont les femmes qui créent ou reprennent des librairies. Le taux de féminisation atteint 70 %, mais, comme dans l’édition, les cadres sont encore le plus souvent des hommes. Qu’en a-t-il été de la présence des femmes dans ce métier au fil des siècles ? Patricia Sorel est maîtresse de conférences (HDR) en Histoire contemporaine. Autrice notamment de Petite histoire de la librairie française, elle revient sur la place des femmes dans l’activité de vente de livres.

Les premiers libraires s’installent au XIIIe siècle. Ils sont des « suppôts » (subordonnés) des universités, et il est alors permis aux femmes d’exercer la profession de libraire juré. Après l’invention de l’imprimerie, le commerce du livre change d’échelle. Au XVIe siècle, Charlotte Guillard dirige l’une des plus importantes imprimeries parisiennes (1537-1557), mais cette figure féminine est exceptionnelle. Les communautés d’imprimeurs et libraires, qui apparaissent au début du XVIIe siècle, se dotent de statuts qui excluent les femmes des métiers du livre. Seules les veuves sont autorisées à remplacer leur défunt mari pour faire vivre leurs enfants et assurer la pérennité de l’entreprise familiale. Certaines d’entre elles connaissent cependant une carrière remarquable, telle la veuve Vatar et Bruté qui, à la fin du XVIIIe siècle à Rennes, est à la tête de la plus importante imprimerie de Bretagne et d’une librairie fort bien achalandée.

En 1810, après que la Révolution a fait disparaître les corporations de métiers, le régime napoléonien impose le brevet pour exercer l’imprimerie ou la librairie. Les femmes peuvent prétendre au brevet, et les candidates sont de plus en plus nombreuses. À Paris, après 1870 (date de la suppression du brevet), les femmes libraires sont aussi nombreuses que les hommes.

Dans la première moitié du XXe siècle, la figure emblématique de la librairie est Adrienne Monnier, qui ouvre sa librairie-bibliothèque en novembre 1915, rue de l’Odéon à Paris. La Maison des Amis des livres, à la fois lieu de vente et bibliothèque de prêt, s’illustre en proposant de la littérature contemporaine. Son fonds attire les plus grands écrivains, dont Guillaume Apollinaire, Léon-Paul Fargue, André Gide, Paul Léautaud et Jules Romains. Adrienne Monnier organise des séances de lecture, diffuse des revues littéraires et publie plusieurs ouvrages. Sa compagne, Sylvia Beach, ouvre en 1919 sa propre librairie, Shakespeare & Company, spécialisée dans la littérature anglaise et américaine, et publie notamment l’édition originale d’Ulysses de James Joyce (1922).

Dans la seconde moitié du XXe siècle, le mouvement féministe a ses librairies, dont les succursales de vente des éditions Des Femmes à Paris (1974), à Lyon (1976) et à Marseille (1977). Ces librairies diffusent les livres écrits par des femmes et sont des lieux de rencontres pour les militantes françaises et étrangères.

Patricia Sorel

Éditrice, un féminin encore peu visible

Au Syndicat national de l’édition (SNE), on attend toujours la première femme élue pour présider l’organisation patronale. Toutefois, si l’on regarde l’organigramme du numéro 2 français, Editis, c’est le nom de Michèle Benbunan qui apparaît comme directrice générale. Spécialiste de l’histoire du livre, de l’édition et de la lecture, Jean-Yves Mollier décrit ici les mutations qui se sont opérées dans cet univers depuis deux siècles.

Le XIXsiècle avait vu le nom des veuves Belin, Dondey-Dupré, Jonas, Lavauzelle, Levrault puis Berger-Levarult ou encore Mame se matérialiser sur les couvertures des volumes. Elles ressemblaient par ce trait aux femmes de l’Ancien Régime qui n’accédaient à l’autonomie qu’à condition de perdre leur conjoint. Pire peut-être, lorsqu’en 1878, au décès de François Buloz, patron de la Revue des deux Mondes, et, en 1892, de Calmann-Lévy, propriétaire de la maison d’édition portant son nom, leurs veuves songèrent à prendre leur succession, leurs fils s’y opposèrent fermement. Il était inconcevable, à la veille de 1900, de laisser une veuve diriger une grosse entreprise et, chez Hachette comme chez ses concurrents, les statuts n’accordaient aux filles et aux veuves que le droit de percevoir le dividende de leurs actions. Cinquante ans plus tard, les choses n’avaient pas vraiment changé et, dans l’enquête publiée en 1954 par Édith Mora dans Les Nouvelles littéraires, et intitulée : « Éditeurs, qui êtes-vous ? », aucune femme n’émergeait encore.

C’est donc un phénomène très récent, consécutif au renouveau de l’édition après 1968, qui a poussé Anne Carrière, Viviane Hamy, Anne-Marie Métailié, Marion Mazauric (Au Diable Vauvert) ou Héloïse d’Ormesson à créer leurs propres maisons d’édition. Parallèlement, ce sont des héritières – Joëlle Losfeld, Françoise Nyssen (Actes Sud), Marie-Claude Brossollet (Belin), Irène Lindon (Éditions de Minuit), Charlotte, Laure et Margot Gallimard dans la maison homonyme –, ou des cadres de haut niveau – Sophie de Closets (Fayard), Isabelle Laffont (Lattès), ou Marie-Christine Conchon (Univers Poche) – qui sont parvenues aux postes dirigeants. La nomination, en 2019, de Michèle Benbunan à la tête d’Editis, repreneur potentiel de Hachette, annonce probablement une révolution dans ce milieu si longtemps fermé aux femmes, pour ne pas dire misogyne.

Jean-Yves Mollier

RESSOURCES

>> Patricia Sorel, Petite histoire de la librairie française, La Fabrique, 2021

>> Patricia Sorel (dir.), Frédérique Leblanc (dir.), Histoire de la librairie française, Cercle de la Librairie, 2008

>> Jean-Yves Mollier, Une autre histoire de l’édition française, 3e édition, La Fabrique, 2019

>> Jean-Yves Mollier, Histoire des libraires et de la librairie depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, Actes Sud, 2021