Pour l’égalité femmes-hommes, le combat passe par les collectifs

Dans la filière du livre, notamment dans le secteur de la bande dessinée, les revendications d’égalité et de parité n’ont pas attendu le mouvement de libération de la parole #MeToo, apparu en 2017. Dès 2015, la création du collectif BD Égalité, collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, y a ainsi participé.

« Cela s’est fait en plusieurs étapes », explique Jeanne Puchol autrice et illustratrice de bande dessinée, membre de BD Égalité depuis sa création. Au départ, dès 2013, il y a des échanges informels et des témoignages, regroupés par l’autrice Lisa Mandel. Deux ans plus tard, un projet d’exposition sur « la BD des filles » en Belgique, jugé misogyne, achève de mobiliser les créatrices et acte la mise en place du collectif. Mais c’est l’action au Festival international de la bande dessinée (FIBD) d’Angoulême de 2016 qui va médiatiser celui-ci. En réponse à une pré-sélection entièrement masculine, les membres appellent au boycott du festival. Un acte fort, « mais il a tout de même fallu que des auteurs de renom nous soutiennent pour que l’on soit prises au sérieux », sourit Jeanne Puchol. Là est l’intérêt des mouvements : jouer collectif permet d’augmenter la force de frappe des actions. « Il y a une répartition de la lumière, des créatrices sont mises en avant par leurs pairs et bénéficient de leur visibilité », souligne Ariane Geffard, agente littéraire. Depuis 2017, celle-ci est à la tête de l’agence qui porte son nom, et qui représente presque exclusivement des autrices ou dessinatrices féministes.


Des structures qui veulent rester libres et non-institutionnelles

Les initiatives collectives, en médiatisant les questions de l’égalité femmes-hommes, permettent une prise de conscience de l’opinion publique. « Sur les réseaux sociaux, nous faisons un travail de veille sur ces sujets, notamment en nourrissant une page avec des témoignages de dessinatrices et autrices qui racontent le sexisme qu’elles vivent dans leur milieu », contextualise Jeanne Puchol. Ce travail de sensibilisation va de pair avec des actions concrètes auprès des lecteurs, à travers notamment l’organisation de rencontres dans les médiathèques.

Se pose aussi la question de l’institutionnalisation de ces mouvements. Celle-ci a d’ailleurs été débattue au sein du collectif BD Égalité. « Le fait de rester sous la forme d’une structure libre attire et rassure davantage les jeunes femmes : il y a une méfiance envers les organisations plus traditionnelles où il est souvent question de hiérarchie et de pouvoir », estime Jeanne Puchol. L’inconvénient étant de ne pas forcément être pris en compte par les acteurs institutionnels. « Mais cela n’est pas très grave, car certaines de nos membres sont également présentes au sein d’autres structures syndicales, dans des commissions ou des sociétés d’auteurs, ce qui permet de porter nos revendications. »

Plus largement, le sujet de l’égalité femmes-hommes apparaît à plusieurs niveaux, incarné par des acteurs divers et variés. Un mouvement « protéiforme » estime Chris Blache, militante au sein du collectif La Barbe, qui dénonce la sous-représentation des femmes dans les instances de pouvoir économiques, politiques et culturelles. Créé en 2020 pour lutter contre la précarité, le collectif des Autrices et Auteurs en Action demande, dans sa chAAArte BD et festivals que « les autrices invitées le soient, a minima, à proportion de la représentation dans la profession — c’est-à-dire en 2021, à 30 % ».

Des espaces d’entraide et de sororité

Face à ce manque de représentation, les professionnelles en poste échangent entre elles sur leurs difficultés et leurs parcours, et trouvent un soutien au sein des collectifs. « Cette activité invisible est très importante pour les membres », pointe Jeanne Puchol. Ces échanges sont d’ailleurs souvent le point de départ des collectifs, « très structurés par cette forme de sororité », souligne Ariane Geffard. Une sororité qui traverse les frontières avec la mise en place de PublisHer, en 2019. Ce réseau, qui était à l’origine un groupe Facebook d’échanges en marge de salons internationaux, est devenu une véritable plateforme, à l’initiative de Bodour Al Quasimi, vice-présidente de l’Union internationale des éditeurs. Afin de repousser le plafond de verre que subissent les femmes dans l’édition, PublisHer a récemment mis en place un coaching et un mentorat à destination de ses membres.

Parité dans les jurys, égalité salariale, lutte contre les agressions et le harcèlement… Au niveau professionnel, les champs de luttes pour ces organisations sont larges. Et leurs membres refusent de croire à une mode qui va passer. « #MeToo a mis en lumière ces problématiques de genre, et le niveau de tolérance sociale à ces inégalités est devenu très faible« , pointe Ariane Geffard qui estime être arrivée « au bon endroit au bon moment ». L’agente littéraire souligne aussi le rôle et le travail des éditrices féministes, qui font avancer ces questions dans les maisons d’édition, ainsi que dans les livres publiés. Le 5 mai 2021, un collectif d’éditrices féministes revendiquait dans les colonnes de Mediapart qu’ « Éditer est un acte aussi politique que celui d’écrire ».

Propos recueillis par Malika Butzbach

RESSOURCES

>> Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme

>> Collectif des Autrices et Auteurs en Action

>> PublisHer (site internet et réseaux sociaux en anglais)