De plus en plus de femmes dans les festivals !

Prendre en compte la parité dans les programmations des festivals de littérature est devenu « un réflexe » pour bon nombre d’acteurs. Cependant, pour éviter de se cantonner à un effet de vitrine, d’autres dimensions sont à considérer, comme la médiatisation ou le temps de parole.

S’il n’existe pas de « point de départ » à la question de la visibilité des femmes dans les manifestations littéraires, l’édition 2016 du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD) apparaît comme une grande étape. La sélection officielle, qui ne comportait aucune autrice, a provoqué une mobilisation importante. « En plus d’avoir donné un sentiment de légitimité aux dessinatrices, cette mobilisation a encouragé les festivals à faire davantage attention à la parité dans leurs sélections et, plus largement, pour leurs événements », estime Sonia Déchamps, codirectrice artistique du festival depuis 2020. Depuis, de nombreuses chartes propres aux manifestations ont été écrites, préconisant de prendre en compte la diversité des écrivains et écrivaines… un des nombreux points de vigilance listés dans la Charte nationale des manifestations littéraires mise au point par la Fill et son réseau en 2019.

Plus de cinq ans après cet épisode, l’attention à la parité est devenue « systématique » dans ces manifestations littéraires, selon plusieurs acteurs. « C’est un réflexe. Dès le début des réflexions sur la programmation, on a en tête de prendre en compte la diversité la plus large possible », expose Camille Ceysson, présidente de l’association à l’origine de Dangereuses Lectrices, un festival rennais qui met en lumière la littérature féministe. Pour le festival des Petites Fugues, si la parité est loin d’être le seul critère, « c’est le plus évident, le réflexe le plus naturel qui va nous guider tout au long de la programmation », abonde Marion Clamens, directrice de l’Agence Livre & Lecture Bourgogne-Franche-Comté, qui porte l’événement. « On a de moins en moins besoin de faire attention à la présence des femmes dans les sélections. C’est aussi, et surtout, parce que l’on reçoit plus de livres écrits par des autrices et des dessinatrices. Et ce sont de très bons ouvrages », sourit Sonia Déchamps.

Quant à la question de la féminisation des sélections, elle aussi par celle des jurys : « le nerf de la guerre », selon Camille Ceysson. Un constat que partage la codirectrice du Festival d’Angoulême : « S’il est difficile d’évaluer l’impact de la mise en place d’un jury le plus paritaire possible, je ne peux pas dire que cela n’a eu aucune retombée sur la sélection finale. »

De l’importance de la médiatisation

Mais, et les acteurs du secteur en sont conscients, il ne suffit pas de programmer des femmes dans les manifestations. La médiatisation est aussi importante. « Cette année, à l’occasion du 20e anniversaire du festival, les premières et quatrièmes de couverture du programme, chacune illustrée de deux portraits d’invités, étaient déclinées en de multiples versions, afin que chaque auteur ou autrice figure sur au moins l’une d’entre elles, souligne Marion Clamens. Pour les créer, nous avons veillé à associer systématiquement une autrice et un auteur. »

Et cette médiatisation des figures féminines n’est pas sans effet. « En discutant avec la dessinatrice Pénélope Bagieu, j’ai découvert qu’elle était allée vers la bande dessinée grâce à l’œuvre de Claire Bretécher, raconte Sonia Déchamps. Le fait d’avoir des ‘modèles’ récompensés et médiatisés dans les festivals peut permettre à certaines femmes ou jeunes filles de s’autoriser à se lancer dans le secteur. »

« Inviter des femmes seulement parce que ce sont des femmes relève de la paresse »

Autre sujet qui revient  le temps de parole, et donc de visibilité, accordé à chaque invité. Dans un post sur Facebook en juin 2021, l’autrice Shumona Sinha explique avoir décliné une invitation à un festival pour ce motif. « Le programme me semblait bancal, car chaque écrivain homme était programmé pour une rencontre individuelle, tandis que les femmes étaient mises ensemble, cinq écrivaines pour la table ronde à 20 h 30. » Pour Sonia Déchamps, qui a pu constater ce genre de phénomène durant sa carrière, « Inviter des femmes seulement parce que ce sont des femmes relève de la paresse. Après, avec le manque de temps ou autre, il est possible que ce choix paresseux s’impose, parfois inconsciemment. Mais il faut éviter cela à tout prix. »

Dans l’ouvrage collectif Lettres aux jeunes poétesses (L’Arche), l’autrice Chloé Delaume raconte son expérience des manifestations littéraires. « Tu te feras couper la parole sur les plateaux des festivals, autant par tes collègues que par les modérateurs […]. L’écrivain mâle sera questionné sur la conception de son ouvrage, l’élaboration de sa structure. Toi, on te demandera si la sortie de ton livre t’a fâchée avec ta famille […]. Tu te battras peut-être, ou tu feras comme moi : depuis dix ans je refuse la moindre table ronde. » Aussi, certains festivals font attention à la parité dans leurs équipes de modération des rencontres. Pour Marion Clamens, ce critère ne préside pas au choix des modérateurs et modératrices. Pour autant, en 2021, l’équipe de modération des Petites Fugues, qui était composée de sept personnes, comptait cinq femmes.

Éviter « l’effet token »

Aurélie Olivier est la directrice de l’association Littérature, etc., aux manettes du festival lillois Dire, dont la parité est la raison d’être. Pour elle comme pour Camille Ceysson de Dangereuses Lectrices, il faut éviter « l’effet token », qui consiste à faire des efforts symboliques d’inclusion vis-à-vis des groupes minoritaires pour échapper aux accusations de discrimination. « Le temps de parole est quasiment le même pour chaque invité au festival Dire », explique la directrice de Littérature, etc. Cela représente aussi un enjeu économique, car les prestations peuvent donner lieu à des rémunérations distinctes, selon leur nature et le temps de travail nécessaire. « Pour notre festival, le cachet est identique pour tous les invités », tranche-t-elle. Aux Petites Fugues, seules les performances type concerts littéraires donnent lieu à un cachet supérieur, « parce qu’il y a une prestation artistique qui demande davantage de travail », explique Marion Clamens.

L’enjeu d’une diversité la plus large possible

Si l’enjeu de la parité semble s’installer dans les manifestations littéraires, les enjeux de diversité au sens plus large demeurent. « Nous faisons par exemple attention aux âges. Dans le jury 2022, il y a la chanteuse Pomme (25 ans) et la journaliste Florence Aubenas (60 ans) », souligne Sonia Déchamps du Festival d’Angoulême. Sur les questions des minorités sexuelles et ethniques, les festivals associatifs avec une approche plus militante semblent davantage en avance. « Nous avons sans doute, avec notre histoire, des réflexions plus poussées, que la taille du festival nous permet d’aborder, estime Camille Ceysson. Pour autant, ce que l’on porte doit faire tache d’huile. On constate que la problématique est de plus en plus présente et que les “gros” festivals en prennent conscience. »

Propos recueillis par Malika Butzbach