De la valorisation du matrimoine littéraire

Le matrimoine littéraire est la part d’héritage léguée par les autrices d’hier et d’aujourd’hui. Au côté du patrimoine, il constitue l’héritage universel. Gaëlle Pairel a consacré aux autrices de Bretagne un mémoire universitaire ainsi qu’une anthologie chorale, Femmes de lettres en Bretagne, qui rassemble plus de 240 autrices. Ces publications approfondissent un inventaire mené dès 2011 sous l’égide de la Fédération des cafés-librairies de Bretagne, avec le soutien de la DRDFE (Direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité), de la DRAC de Bretagne, du Conseil régional de Bretagne.

 

Gaëlle Pairel, qu’a mis au jour et qu’a fait naître le recensement des autrices en Bretagne ?

Gaëlle Pairel : Ce recensement a permis de révéler un nombre important d’autrices, la qualité de leurs écritures, la diversité des genres traversés, leur participation active à la vie littéraire de leur époque, en Bretagne comme en dehors.

Nous trouvons ainsi Opinion d’une femme sur les femmes, essai inspiré et inspirant de Fanny Raoul (1771-1833). Cette Finistérienne y écrit, dès 1801 : « Il importe donc de changer le sort des femmes, et de les sortir du néant où l’opinion les replonge ; je dis même que la réforme d’un peuple doit commencer par elles, et que le législateur n’aura rien fait d’utile et de permanent, s’il ne les rend garants de la constitution nouvelle. » Je citerai également les nouvelles de Claire de Duras, aristocrate brestoise qui a entretenu une correspondance avec Chateaubriand, ou les romans de Marie Le Franc, originaire du Morbihan, publiés en France et au Canada.

Dès 2011, la Fédération des cafés-librairies de Bretagne a créé plusieurs manifestations mettant à l’honneur ces autrices. Elle a aussi diffusé une liste réunissant plus de cent écrivaines publiées depuis le XIXe siècle à l’attention des lectrices, des lecteurs, des professionnel·les du livre et de l’éducation.

En 2013, mes recherches universitaires ont permis d’affirmer que leurs œuvres composaient un corpus singulier et universel – le matrimoine littéraire en Bretagne de 1801 à nos jours – que j’ai souhaité rendre visible en développant des pistes de médiation.

Quelles sont les médiations mises en place ?

G. P. : Chaque été, nous concevons, avec les cafés-librairies, une lecture musicale composée de dix œuvres éditées depuis le XIXe siècle. Thématique, cette proposition se déploie depuis 2015 auprès d’un auditoire conquis par ce voyage littéraire. Celui-ci est animé par deux comédiennes et un musicien de la compagnie KF. À l’issue de chaque représentation, je présente les écrivaines ainsi que les titres de fonds et d’actualité sélectionnés. Les publics prolongent ensuite leurs découvertes grâce aux livres en vente dans les cafés-librairies.

Cette approche à la fois sensible et pédagogique permet à chacun·e de s’approprier ce matrimoine entre romans, essais, recueils de poésie, récits d’arpentage, correspondances…

Pourquoi vous tourner aujourd’hui vers le public scolaire ?

G. P. : Cette lecture a désormais vocation à être diffusée en milieu scolaire pour deux raisons principales. La première est de sensibiliser tous les élèves à ces textes qui évoquent des sujets qui les concernent : la filiation, la nature, la liberté, l’aventure, l’amour… La deuxième est d’inviter les jeunes filles à écrire et à être publiées en se référant à des autrices étudiées en classe.

Nous sommes actuellement en discussion avec le conseil départemental d’Ille-et-Vilaine, le réseau HF Bretagne, l’Éducation nationale pour que les voix des autrices résonnent dans les collèges et les médiathèques du département.

Ces travaux ont également donné le jour à des projets d’édition.

G. P. : En effet, car beaucoup d’œuvres – même récentes – sont aujourd’hui indisponibles. Je pense notamment au roman Jabadao, prix Femina en 1951, que nous souhaitons rééditer au sein des Éditions JM Goater. Son autrice Anne de Tourville (1910-2004) est originaire de Bais, en Ille-et-Vilaine.

À la suite de la parution de l’anthologie Femmes de lettres en Bretagne, nous développons une collection baptisée « Matrimoine », afin de publier ces titres incontournables à petit prix : des pépites littéraires disponibles au format poche dès le printemps 2022.

Cette aventure matrimoniale réunit les acteurs et les actrices de la chaîne du livre, leurs partenaires éducatifs, culturels, associatifs – pour n’en citer qu’un : l’association Marie Le Franc, qui mène un travail exemplaire en faveur de cette autrice remarquable.

Pour ma part, je poursuis mes recherches et je développe de nouveaux projets de médiation – des formations notamment – afin de favoriser la diffusion et la connaissance de ce corpus littéraire qui raconte notre histoire, fait mémoire de nos territoires, enrichit notre humanité.

Je souhaite à tous les matrimoines un avenir rayonnant !

RESSOURCES

>> Femmes de lettres en Bretagne. Matrimoine littéraire et itinéraires de lecture, éditions Goater, 2021.

>> Dossier sur les ressources de la BnF : « Femmes de lettres » dont cycle de conférences « Autrices oubliées de l’histoire littéraire » (2021).