Le ministère de la Culture mobilisé

C’est à la faveur d’échanges avec la mission Responsabilité sociale des organisations (ex-mission Diversité-Égalité) du ministère de la Culture qu’est né ce dossier numérique consacré à l’égalité entre les femmes et les hommes dans la filière du livre. La Fill a posé trois questions à Agnès Saal, la haute fonctionnaire chargée de cette mission.

Quels constats ont donné lieu à la création de la mission Diversité-Égalité du ministère de la Culture en 2016, devenue mission Responsabilité sociale des organisations ? Quel est le périmètre d’action de celle-ci ?

Agnès Saal : Les attentes de la société, les mobilisations citoyennes, les résultats de différentes études et l’engagement des gouvernements successifs depuis 2015 ont convergé vers la conviction que les inégalités et les discriminations dans la culture – dans ses professions, ses institutions et ses contenus – ne pouvaient plus être ignorées.

Cette mission Diversité-Égalité, renommée mission Responsabilité sociale des organisations, a donc été créée afin de piloter la mobilisation du ministère de la Culture et de ses partenaires dans la lutte contre toutes les discriminations. Cette lutte est déployée non seulement au sein du Ministère (administration centrale, directions, services, établissements publics, écoles), mais aussi dans l’ensemble des politiques culturelles, dans tous les secteurs (patrimoine et architecture, spectacle vivant et enregistré, arts visuels et numériques, livre et presse, médias et audiovisuel…).

Sa première action a été d’organiser la candidature aux labels Égalité et Diversité de l’Afnor : le ministère de la Culture a été la première administration à les obtenir en même temps. La démarche a permis de penser, formaliser et structurer l’engagement, d’impliquer les personnels, de déployer des outils et de dresser des plans d’action.

Quelles sont les avancées significatives que la mission a obtenues ? Quels outils avez-vous pu élaborer ?

A.S. : S’engager contre l’ensemble des discriminations dans l’ensemble des secteurs veut dire déployer une grande pluralité d’actions. Les priorités et les modalités diffèrent, mais les outils à mettre en place peuvent se rejoindre ; et certaines urgences, comme celle des violences sexuelles, se retrouvent partout. Par exemple, les personnels du Ministère et les populations de ses écoles ont eu accès dès 2018 à une cellule d’écoute juridique et psychologique pour signaler les situations de discriminations ou de violences sexuelles ou obtenir des conseils à leur propos ; et en 2020, avec les organisations de représentation du spectacle vivant et enregistré, le Ministère a lancé une cellule d’écoute semblable destinée aux salarié·es permanent·es et intermittent·es de ces secteurs.

La formation est également un outil de prévention indispensable dans tous les contextes. Depuis 2019, les personnels du Ministère doivent obligatoirement se former à la lutte et à la prévention contre les violences et les harcèlements sexuels et sexistes ; depuis 2020, de telles formations sont accessibles aux populations des écoles ; depuis décembre 2021, elles sont proposées aux salarié·es permanent·es et intermittent·es des secteurs d’activité relevant de l’Afdas, ainsi qu’aux auteurs et autrices.

L’engagement volontariste du Ministère prend désormais une forme radicale, par le conditionnement progressif des aides publiques : le respect des obligations légales et de certains engagements en matière de lutte contre les violences sexuelles conditionne déjà le versement des aides dans le cinéma, l’audiovisuel, le jeu vidéo, la musique et le spectacle vivant, et ce sera bientôt le cas dans les secteurs du livre et des arts visuels.

La feuille de route Égalité du Ministère, actualisée chaque année, décrit et évalue les actions en cours et à venir. Une feuille de route Diversité est actuellement en préparation, qui formalisera la lutte contre toutes les discriminations, au-delà de celles qui existent entre les femmes et les hommes.

Quelles problématiques spécifiques avez-vous identifiées pour le secteur du livre ? Quels sont vos partenaires pour mener les différents chantiers ?

A. S. : L’engagement ministériel envers les violences sexuelles et sexistes se poursuit dans le secteur du livre. Le Ministère et le Centre national du livre (CNL) élaborent actuellement un protocole pour conditionner le versement des aides publiques. Il s’agira de former l’ensemble des acteurs permanents, de garantir l’accès à une cellule d’écoute, de vérifier l’absence de discrimination dans les recrutements, de désigner des personnes référentes, de lancer des enquêtes pour répondre aux signalements…

Au-delà, comme dans tous les secteurs, nous travaillons avec l’ensemble des acteurs : associations, entreprises, syndicats… pour circonscrire les problèmes prioritaires et identifier des bonnes pratiques à diffuser ou à soutenir. Les idées viennent toujours des premières personnes intéressées.

Dans le secteur des bibliothèques, nous travaillons notamment avec l’Association des bibliothécaires de France (ABF), au congrès de laquelle nous participons en 2022, et avec le Comité français international bibliothèques et documentation (Cfibd). Nous avons contribué à l’organisation d’États généraux de l’égalité dans la littérature jeunesse, avec notamment la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, que nous avons aidée à mettre en place des ateliers « d’autodéfense verbale » pour la négociation des contrats. Une enquête sur l’orientation des jeunes filles est en cours avec Lecture jeunesse. Avec la DILCRAH, délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, nous avons commencé à former au repérage et à la lutte contre les stéréotypes les salarié·es des maisons d’édition de manuels scolaires réunies dans l’association Les Éditeurs d’Éducation.

On doit en effet s’attacher à réfléchir à l’impact des productions culturelles (l’écrit, l’image…) sur leurs publics en termes de reproduction ou de déconstruction de visions stéréotypées, « enfermantes » et excluantes, sans bien sûr porter atteinte à la liberté de création et d’expression. C’est là un enjeu majeur, et un pari difficile, mais passionnant à relever !