Nicolas Ancion est né en 1971 à Liège (Belgique). Licencié en philologie romane, il réinvente le monde à travers des histoires loufoques : des romans, des nouvelles, de la poésie, de la littérature jeunesse, des feuilletons pour le web, le théâtre ou la radio et bien d’autres choses. Ses textes ont été couronnés par de nombreux prix littéraires, dont le Prix des Lycéens pour Quatrième étage. Il est également critique de bande dessinée. Après Bruxelles, Madrid et Liège, il habite désormais en France, où il s’est installé avec son épouse et leurs deux enfants.
Pour vous qu’est-ce que l’Éducation artistique et culturelle (EAC) ?
En tant qu’auteur, je ne me soucie pas vraiment des étiquettes, intitulés et dispositifs administratifs qui permettent la rencontre entre élèves et artistes. L’essentiel ne se passe ni pendant les réunions préparatoires, ni au cours du remplissage des dossiers et formulaires, mais dès que la rencontre démarre. Je suis convaincu que toutes les formules qui permettent à des intervenants extérieurs d’être invités en classe sont bénéfiques (et pas qu’aux élèves, d’ailleurs). Dans le cas des artistes, et plus particulièrement des auteurs, je pense que le contact direct permet à la fois de désacraliser bien des aspects de la pratique et, paradoxalement, de déployer une forme de magie ou de transmission très naturelle. La lecture, la simple discussion, le débat et l’écriture prennent soudain des dimensions qui ne sont plus les mêmes que celles qui sont généralement évoquées ou pratiquées dans l’enceinte des établissements scolaires.
Quels types de projets proposez-vous ?
En tant qu’auteur, en France, je suis surtout invité pour animer des ateliers d’écriture, parce que c’est une formule clairement identifiée par tous les intervenants et donc simple à mettre en œuvre pour eux. Et plus facile à financer qu’une rencontre d’auteur où les élèves lisent et préparent des questions (qui a pourtant des effets tout aussi impressionnants sur les capacités de lecture, d’analyse et d’expression). En plus de vingt ans de rencontres, dans une bonne quarantaine de pays, j’ai eu le bonheur de participer à des projets très ambitieux comme des ateliers de réécriture radiophonique (en partenariat avec la médiathèque de Mauguio) ou un prix littéraire organisé autour de mes nouvelles dans les lycées de Vitry-sur-Seine (j’étais le seul auteur sélectionné, mais les élèves de toutes les écoles devaient voter, puis débattre pour déterminer la nouvelle lauréate). J’ai aussi beaucoup de plaisir à animer des ateliers d’écriture de micro-séries télévisées. A priori, tous les défis m’intéressent et j’adore développer des projets sur mesure, pour coller à la fois au terrain local et aux enjeux spécifiques.
D’après vous, est-il nécessaire de développer l’Éducation artistique et culturelle ?
J’en suis profondément convaincu. Il ne peut y avoir de création et de créativité, sans éveil à la fois à la pratique créative et à la curiosité intellectuelle et sensitive. L’école enseigne surtout à reproduire des formules, à répéter des formes, à apprendre des choses qui sont déjà connues. L’Éducation artistique et culturelle permet en revanche d’explorer des terrains où personne n’a mis le pied. Quand on lit un livre, quand on regarde un film ou qu’on écoute un morceau de musique, on s’aventure sur un territoire encore à défricher. D’autres s’y sont déjà aventurés et peuvent nous aider à nous y repérer, mais c’est l’élève qui doit vivre l’expérience artistique et permettre à l’œuvre de se déployer en lui. Participer à des ateliers de création est une excellente manière de se familiariser avec l’expérience d’étrangeté, de découverte, de renversement, que procure toute bonne œuvre d’art.
« Quand une classe éclate de rire en parlant littérature ou quand les bouches sont soudain grand ouvertes jusqu’au dernier rang, on n’est pas dans la médiation, mais dans la vie, tout simplement (ou dans la prestidigitation, ce qui n’est pas mal non plus). »
Pourquoi favoriser le livre et la lecture dans les projets d’EAC ?
La lecture est une compétence de base, indispensable à tous les apprentissages. Les meilleurs lecteurs font aussi les meilleurs élèves, toutes disciplines confondues. Et plus on est capable de lire des choses différentes, plus on lit facilement. Je suis convaincu que lire de la poésie ou du théâtre est aussi important dans un parcours de lecteur que déchiffrer un article du Monde ou des Échos, même pour de futurs ingénieurs commerciaux. C’est l’amplitude de l’éventail qui fait le bon lecteur, pas sa spécialisation. En outre, la lecture littéraire permet de se projeter dans des vies et des émotions qui ne sont pas les nôtres (contrairement aux autres formes d’art où l’on assiste à une expérience sans quitter son propre corps), dans des pensées qui nous sont étrangères. C’est une approche essentielle pour recréer du lien, du partage, de la tolérance, de l’ouverture, de l’empathie, dans un monde qui se replie (à cause des montées des idéologies identitaires, mais aussi des bulles des réseaux sociaux ou des revendications essentialistes de toutes natures : genre, nation, religion, culture… puis du goût immodéré pour la polémique et la stigmatisation qui empêchent de découvrir l’autre).
Pourquoi est-ce important que des auteurs assurent cette médiation ?
Je me pose parfois la question, parce que certains dispositifs exigent que les auteurs se mettent au service de grilles de lecture et d’évaluation qui ne sont pas de leur ressort et que des enseignants me paraissent parfois mieux équipés pour mettre ce jargon en application (tout comme les inspecteurs d’académie). Pourtant, je suis convaincu que les artistes en général, et donc les auteurs, ont un rapport à leur domaine qui évacue très naturellement tous les critères administratifs, les cases, les compétences, pour entrer de plain-pied dans une pratique riche de sens, entière, sauvage parfois, surprenante le plus souvent, qui ne devrait pas être appelée médiation (laissons ça aux professionnels de ce domaine), mais friction, dévoilement, collision, par exemple. Quand une classe éclate de rire en parlant littérature ou quand les bouches sont soudain grand ouvertes jusqu’au dernier rang, on n’est pas dans la médiation, mais dans la vie, tout simplement (ou dans la prestidigitation, ce qui n’est pas mal non plus).
Comment l’EAC transforme-t-elle les élèves, les enseignants et les auteurs ?
Comme toutes les rencontres, on sait à peu près ce qu’on va apporter, on a une vague idée de ce qu’on souhaite éveiller, susciter, mais chaque projet réussi éveille chez les participants (l’auteur et l’enseignant sont bien entendu des participants comme les autres) des effets inattendus, imprévisibles. Et c’est justement parce que ces transformations sont surprenantes et compliquées à prévoir qu’elles sont essentielles.
Quel est votre plus joli souvenir ?
Un magnifique souvenir récent est la séance d’écoute publique à la fin de l’atelier d’adaptation radiophonique des nouvelles de mon recueil « Les ours n’ont pas de problème de parking ». Près d’une heure de silence total, d’écoute attentive, bienveillante, fascinée, par une classe de 3e qui connaissait pourtant les textes sur le bout des doigts à force de les avoir triturés, mais qui était scotchée par le souffle des voix, les mélodies, les bruitages, par le plaisir aussi, d’être là et nulle part ailleurs, à partager ensemble ce résultat impressionnant, dont tous pouvaient être fiers. Surtout François Lopez qui avait réussi un montage son final extraordinaire.
Entretien réalisé par Occitanie Livre & Lecture
Dernier ouvrage de Nicolas Ancion paru :
Le livre le plus nul de la bibliothèque, éditions Mijade, 2019.