Lieux de l’interprofession, de la mise en avant des acteurs et actrices de la filière du livre et de leur coopération, espaces de professionnalisation et de défense de la bibliodiversité, les structures régionales pour le livre (SRL) se positionnent, par bien des aspects et par le cœur même de leurs missions, sur deux problématiques de l’écologie du livre telles que les présentent Marin Schaffner et l’Association pour l’écologie du livre : l’écologie sociale et l’écologie symbolique.
À l’heure de l’urgence écologique, face à la mise en mouvement de nombre de professionnel·les sur le territoire, les SRL s’appuient sur leurs fondements pour valoriser cette dimension tout en essayant de mettre en œuvre de nouveaux dispositifs de réflexion et d’accompagnement qui permettent d’aller plus loin et de prendre en compte l’ensemble des écologies : sociale, symbolique et matérielle.
Si l’on entend par « écologie sociale » le fait de préserver les interdépendances et équilibres au sein de la chaîne du livre, les structures régionales, en tant qu’interlocutrices institutionnelles privilégiées des professionnel·les sur leurs territoires respectifs, portent des missions écologiques par nature. L’une de ces missions est ainsi de favoriser l’interconnaissance entre acteurs et actrices du livre. Dans cet objectif, les SRL recensent les personnes et structures impliquées dans la chaîne du livre sur leur territoire, et publient (en ligne ou sur papier) des annuaires qui permettent à toutes et tous de prendre connaissance du réseau. Les mesures mises en place pour l’écologie sociale sont également une porte d’entrée pour soutenir la bibliodiversité. En contribuant à faire connaître une diversité de voix (auteurs et autrices, maisons d’édition), les SRL sont engagées dans l’écologie symbolique.
Veillant à valoriser l’interprofession, les structures créent des passerelles entre les différents métiers de la filière : elles organisent des événements qui sont autant d’occasions de collaborer et de mieux prendre conscience de l’activité de l’autre. En Bourgogne-Franche-Comté, des « Espressos des éditeurs » permettent ainsi aux maisons d’édition locales de présenter leurs catalogues aux libraires, bibliothécaires et enseignant·es de la région. Ces rendez-vous prennent parfois la forme de véritables festivals, comme Le Mois du livre en Bretagne, porté par Livre et lecture en Bretagne, ou Les Affluents, co-organisé par Mobilis en Pays de la Loire : tous deux invitent les structures du territoire à collaborer, et aller ensemble à la rencontre des lecteurs et des lectrices. À Mayotte, l’Agence régionale du Livre et de la Lecture s’est donnée pour objectif de définir les appétences littéraires des habitant·es pour des productions régionales et, ainsi, aider les acteurs et actrices du livre de la région à répondre le mieux possible aux attentes exprimées.
Depuis plusieurs années, dans le sillage des professionnel·les, les structures régionales se sont également emparées du sujet de l’écologie matérielle, en s’intéressant à l’empreinte environnementale de la filière du livre. Les SRL relaient, prolongent, accompagnent les interrogations de plus en plus prégnantes à ce propos, notamment à l’occasion des journées professionnelles qu’elles organisent régulièrement. Dès 2017, à Frontignan, Occitanie Livre & Lecture proposait une journée consacrée aux « bibliothèques vertes » ; en 2020, à Dijon, l’Agence Livre & Lecture Bourgogne-Franche-Comté s’intéressait au patrimoine écrit durable ; en 2021, dans les Hauts-de-France, une table ronde du salon Le livre en pari était consacrée à La question écologique dans la chaîne du Livre… Plus récemment, les structures ont pour la plupart fait appel à l’expertise de L’Association pour l’écologie du livre pour animer des temps de réflexion. Créée en 2019, constituée de membres représentant tous les métiers du livre et de la lecture, celle-ci est repérée comme un interlocuteur de premier plan dans sa capacité à fédérer et mettre en mouvement sur le sujet. Dans le même temps, les webinaires thématiques se multiplient : en novembre 2022, Interbibly et Occitanie Livre & Lecture proposaient chacune une rencontre en ligne sur l’écolabellisation des manifestations littéraires.
Les publications régulières des structures servent également de supports et de relais aux questionnements écologiques. ALCA a consacré le numéro 10 de sa revue Éclairages au développement durable ; Livre et lecture en Bretagne, le 50e numéro de Pages de Bretagne au sujet « Le livre demain ». Quant à l’Agence régionale du Livre Provence-Alpes-Côte d’Azur, c’est en ligne qu’elle a publié son dossier sur l’écologie à l’automne 2022. Centre de formation, l’Agence a également mis à son programme des formations spécifiques, destinées aux éditeurs et éditrices et aux libraires.
Pour soutenir concrètement la mise en mouvement des acteurs et actrices de la filière, certaines structures et Régions les aident à mesurer leur impact environnemental – premier pas pour envisager la réduction de celui-ci. C’est ce qu’ont entrepris, chacune à sa façon, le Grand Est et la Nouvelle-Aquitaine.
En 2022, la Région Grand Est a fait appel à trois consultants (deux du Bureau des acclimatations et un de la société Ecograf) afin d’obtenir une image concrète de l’impact de la filière du livre régionale sur l’environnement et de formuler des préconisations. La méthodologie adoptée, basée sur l’approche carbone, a mis en lumière des chiffres importants, issus principalement de champs sur lesquels la collectivité régionale n’a que peu de marge de manœuvre,
notamment le transport routier interrégional. Néanmoins, sur la base de ces conclusions, plusieurs pistes sont envisagées pour les années à venir : adapter les dispositifs régionaux, notamment ceux du contrat de filière,
pour accompagner et former les professionnel·les du livre et créer des circuits de proximité, favoriser les innovations et expérimentations, organiser la veille et la réflexion. Cette démarche ambitieuse vise à pallier, à l’échelle régionale et avec des moyens réglementaires et financiers réduits, les effets de la délocalisation, de la surproduction et des mises au pilon, ainsi que l’empreinte carbone des transports routiers et des avalanches de cartons… toutes ces pratiques qui ont un coût environnemental certain.
En Nouvelle-Aquitaine, la fin de 2022 correspond aussi au temps de la restitution, après une année passée à réaliser plusieurs études sur la filière du livre. La dernière concernait plus spécifiquement « l’écoresponsabilité entre édition et impression », partant du constat que « L’économie du livre doit, elle aussi, prendre en considération les impacts négatifs planétaires de la production et de la consommation de manière significative ». C’est à l’occasion d’un événement ouvert à toutes et tous le 14 novembre 2022, à Bordeaux, que sont présentées les premières synthèses des études réalisées dans le but de connaître les pratiques et déterminer les besoins des structures. À l’issue de ces présentations, ALCA a invité toutes les personnes concernées à participer à des ateliers thématiques pour « Réagir et agir face à l’état des lieux ». Car l’observation n’est que le point de départ à l’action.
Le passage à l’action prend des formes diverses selon les SRL et les régions. Avec une de ses salariées qui travaille sur cette question depuis 2020, Normandie Livre & Lecture est une structure très impliquée sur le sujet de l’écologie. En juin 2022, elle a mis en place une Charte pour l’écologie du livre, défendant un écosystème plus durable, social et solidaire du livre. Ce projet, amorcé dès le mois de juin 2020, a été nourri par des questionnaires envoyés aux professionnel·les comme aux lecteurs et lectrices, par la tenue de groupes de travail, des interviews d’expert·es, le recensement des imprimeries régionales et l’organisation de journées interprofessionnelles menant à des cartes de mutualisation des initiatives du territoire. À partir d’un autodiagnostic, cette charte permet aux acteurs et actrices de la filière livre d’intégrer un plan d’amélioration continue pour répondre aux enjeux de transition du secteur. Avec une boîte à outils et des supports de communication mis à leur disposition, les signataires de la charte s’engagent auprès du collectif à cibler des axes d’amélioration pour l’année à venir, suivre les formations proposées par la structure régionale, prendre part aux temps collectifs organisés et communiquer auprès de leurs parties prenantes vis-à-vis de la charte.
Dans les Pays de la Loire, le pôle régional de coopération des acteurs du livre, Mobilis, a remporté en 2021 l’appel à projets « Économie circulaire » de l’Ademe, l’Agence de la transition écologique. Mobilis a ainsi pu créer au printemps 2022 un poste de chargée de mission « Transition écologique », pour trois ans, afin d’animer une mission baptisée TRANSEO – destinée à accompagner la filière du livre et de la lecture de la région sur le chemin de l’écologie du livre. Mobilis peut ainsi concrétiser un travail amorcé dès 2016, qui a notamment pris la forme d’un partenariat avec les vendeurs de livres d’occasion en ligne Recyclivre et Ammareal, d’enquêtes, de temps de réflexion sur les mobilités, de cycles de formation organisés via la constitution d’un groupe d’expert·es sur ces sujets à l’échelle de leur territoire… Un cheminement pionnier (à retrouver ici en frise temporelle), qui a permis de constituer une communauté active autour de l’écologie du livre en Pays de la Loire. La création d’un poste dédié à la transition écologique au sein d’une SRL, initiative inédite, a désormais pour but de déployer un service innovant d’accompagnement des professionnel·les de la filière du livre en région. Il s’agira de les aider à appliquer les gestes écologiques au quotidien, à s’approprier les méthodologies professionnelles de la transition écologique… et d’imaginer un écosystème du livre respectueux de l’environnement et des engagements de circularité – pour une économie du livre sociale et solidaire – à l’échelle régionale.
Ces différentes expérimentations se multiplient à une vitesse toujours plus grande, elles s’inspirent entre elles et concourent à enrichir les connaissances de toute la filière. Gageons que celle-ci trouvera dans cet élan collectif matière à créer un nouvel équilibre et une véritable écologie du livre.
+ Sensibiliser
+ Expérimenter
+ Coopérer
+ Prolonger
+ Pour aller plus loin